Tenue par la main, Rosalie entre dans mon bureau.

Rosalie a quarante ans. Béret en Phentex bleu, la moitié du visage caché, Rosalie est visiblement désorientée.

  • Ma sœur est très médicamentée, elle sort d’une longue hospitalisation… On crie « au secours » tout partout. Ma sœur est dépressive depuis quatre ans. Elle ne sort plus de cet état-là.

 

Plus j’écoute le récit de Rosalie, plus je me dis que ce n’est pas de mon ressort : je dois la référer. Pendant ce temps, j’observe Rosalie et le seul œil disponible à ma vue est vide. Vraiment vide.

  • Madame, dis-je à la sœur de Rosalie, la demande que vous me faites dépasse mes compétences.
  • C’est justement son psychiatre qui nous a dit de venir vous voir. Il peut vous faire parvenir son dossier si vous voulez…
  • Rosalie a de la chance de vous avoir comme sœur. Vous être entrée ici avec elle par la main comme une maman qui prend soin de son enfant. C’est beau et cela me touche vraiment. Y’a beaucoup d’amour dans votre demande.

Je suis désolée, mais pour accompagner Rosalie, j’aurais besoin de voir ou de sentir un microdésir, un filet de volonté chez elle. Vous et son psychiatre, vous voulez de bonnes choses pour elle; Rosalie, que veut-elle pour elle-même?

 

Je me tourne vers Rosalie et m’adresse maintenant à elle :

  • Rosalie, je vois bien que ta souffrance est immense. Tu es prisonnière des médicaments, ça aussi je le vois. Tu es venue jusqu’à moi avec ta sœur par la main. Elle t’aime beaucoup. Moi aussi je t’aime déjà… Je sais que tu ne peux pas parler, que tu ne peux pas rebondir. Peut-être y a-t-il un petit espoir quelque part en dedans de toi… l’espoir de te sentir mieux, loin de cet enfer, prisonnière des médicaments et de la souffrance?

 

Je continue de signifier à sa sœur que, visiblement, je ne pourrai pas travailler avec Rosalie. Que la situation relève d’un psychiatre ou d’une autre compétence que la mienne.

 

À cet instant, mon cœur chavire. Mon regard vient de rencontrer celui de Rosalie. Un minuscule filet de vie… Rosalie, l’espace d’un souffle, d’un silence, me regarde. Une émotion incommensurable m’envahit. Je m’entends dire à Rosalie :

  • On prendra le temps que ça prendra. Toi et moi, ensemble, nous trouverons la lumière. Je viens d’en voir un petit morceau dans tes yeux. Donc, je sais qu’elle existe quelque part en toi.

 

Aujourd’hui, Rosalie a quitté la majorité de ses médicaments. Elle fait son premier arbre de Noël en quatre ans, met des mots sur la violence qui habitait sa maison et qui la tuait, réorganise sa vie et va là où la lumière et la paix existent.

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