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Psychologie de l’inaction : quand notre cerveau nuit au climat

Le dernier rapport du GIEC est clair : il faut agir tout de suite pour éviter qu’un réchauffement de plus de 1,5 °C n’entraîne des conséquences irréversibles sur notre climat. Le rapport, datant de mars 2023, affirme qu’il est encore temps d’agir pour contrer les bouleversements climatiques. Mais il faudra agir vite1.

 

Les solutions sont connues pour contrer une élévation catastrophique de la température moyenne mondiale : réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, favoriser l’efficacité et la sobriété énergétique, investir dans des technologies moins polluantes (comme le solaire ou l’éolien), protéger les écosystèmes, réduire le gaspillage alimentaire, restaurer les milieux humides, aménager des espaces verts, manger moins de viande, etc.

 

Or, force est de constater que la mise en place des changements est très lente, trop lente diront certains. À tel point que des citoyens poursuivent maintenant leur gouvernement pour leur inaction climatique. La Suisse a récemment été reconnue coupable d’inaction climatique par la Cour européenne des droits de l’homme2. Un groupe de jeunes a aussi lancé une poursuite contre le gouvernement fédéral canadien pour inaction climatique3.

 

Malgré toutes les preuves scientifiques et les rapports qui montrent que cette inaction nous sera fatale si elle se maintient, pourquoi tardons-nous individuellement et collectivement à agir plus rapidement?

 

Psychologie de l’inaction climatique

Le 22 mars dernier, l’émission Carbone de Radio-Canada a diffusé un reportage4 qui fait le portrait des différents facteurs psychologiques qui nous empêchent d’adopter des comportements qui pourraient ralentir l’évolution des changements climatiques. Comme la crise climatique, ces facteurs sont nombreux et complexes.

 

Biais cognitifs

Les biais cognitifs sont des croyances qui tendent à maintenir dans le statu quo ou à distorsionner ce que l’on perçoit de la réalité. Le déni, l’optimisme déraisonnable, la mise à distance des enjeux futurs, l’incapacité à déroger de nos habitudes, la tendance à vouloir trouver des coupables sont des exemples de biais cognitifs qui peuvent freiner nos actions climatiques.

 

Le biais d’optimisme peut nous faire croire par exemple que les risques que nous courons face aux changements climatiques sont moins grands que les risques que courent les résidents de pays plus éloignés. Le déni, qui peut naître d’un grand sentiment d’anxiété, peut quant à lui en amener certains à carrément nier la réalité des changements climatiques. C’est ce qui ferait croire aux Québécois qu’ils ne sont pas menacés par les changements climatiques malgré qu’ils ressentent leurs effets. Cette tendance au déni pourrait aussi expliquer qu’aujourd’hui 14 % de la population mondiale ne croit pas aux changements climatiques (ce chiffre s’élevait à 5 % il y a 5 ans). À quoi est due cette augmentation? À une poussée d’angoisse généralisée?

 

Le reportage de Carbone montre également que notre tendance à vouloir trouver des coupables donne lieu au fameux triangle de l’inaction qui nous englue collectivement dans un immobilisme délétère. Tout le monde se renvoie la balle : les consommateurs attendent que les entreprises deviennent plus vertes ; les entreprises attendent que les gouvernements légifèrent ; les gouvernements attendent que les consommateurs manifestent leur désir de changement. Cette tendance à vouloir trouver des coupables donne aussi lieu à des discours erronés comme dire que les Chinois polluent plus que les Canadiens : les données montrent qu’au contraire les Canadiens polluent deux fois plus que les Chinois. Ou comme dire que c’est le fameux 1 % des gens les plus riches qui est responsable du gros de la pollution. En fait, 50 % du bilan carbone mondial serait attribuable aux 10 % des gens les plus riches (pour faire partie de cette catégorie, il faut gagner 50 000 $ par année, ce qui correspond au revenu moyen canadien).

 

Les dragons de l’inaction

Robert Gifford, un professeur de l’Université de Victoria, a tenté de conceptualiser dans un modèle structuré tous les biais cognitifs qui expliqueraient l’immobilisme climatique. Il a publié en 2011 un article qui identifiait 29 barrières psychologiques. Ces barrières, qu’il nomme dragons de l’inaction5, sont regroupées en sept catégories. Voici des exemples liés à ces catégories :

  • Cognition limitée : Le cerveau n’a pas évolué pour faire face à des dangers complexes et lointains (ou perçus comme tels) comme les changements climatiques.
  • Idéologies : La croyance voulant que les technologies vont pouvoir renverser les changements climatiques fait partie de cette catégorie.
  • Comparaisons sociales : Si on pense que les autres ne vont pas agir pour limiter leur empreinte carbone, on va avoir tendance à ne pas agir non plus : « Pourquoi est-ce que je limiterais mes déplacements en avion quand mon voisin fait quatre voyages en avion par année? »
  • Investissements perdus : Si on a investi dans une voiture par exemple, on aura moins tendance à utiliser un vélo pour se déplacer.
  • Scepticisme : Le manque de confiance dans le gouvernement, les scientifiques ou les médias peut empêcher d’agir pour le climat.
  • Risques perçus : Les risques liés à des actions en faveur du climat peuvent freiner la volonté de certains : « Je vais avoir un accident si je me déplace en vélo » ; « Je risque de me couvrir de ridicule si j’achète des vêtements usagés » ; « Je risque de m’endetter si j’achète des panneaux solaires. »
  • Comportements limités : Les comportements qui sont les plus faciles à adopter pour mitiger son empreinte carbone sont aussi ceux qui ont le moins d’effet sur la crise climatique.

 

Bien sûr, l’inaction climatique est tributaire de nombreux facteurs politiques et économiques qui nous échappent en partie. Mais elle est aussi due à nos nombreux biais cognitifs qui deviennent aujourd’hui de sérieux obstacles à notre capacité de se sortir d’une crise climatique sans précédent. La bonne nouvelle est que parvenir à reconnaître ces biais cognitifs peut nous aider à mieux les déjouer et à être plus en mesure d’adopter des comportements qui contribueront à mitiger la crise climatique.

 

Cette chronique fera relâche pour l’été. Elle sera de retour en septembre.

1. Rapport du GIEC : l’action climatique ne peut plus attendre, Radio-Canada, 20 mars 2023 ici.radio-canada.ca/nouvelle/1964599/crise-climat-rechauffement-ipcc-effet-serre

2. La CEDH rend un jugement historique en condamnant la Suisse pour inaction climatique, Le Devoir, 9 avril 2024 ledevoir.com/environnement/810530/cedh-rend-jugement-historique-condamnant-suisse-inaction-climatique?

3. Climat : la poursuite de 15 jeunes canadiens remise sur les rails, Radio-Canada, 14 décembre 2023 ici.radio-canada.ca/nouvelle/2034903/cour-larose-poursuite-gouvernement-federal-changements-climatiques

4. La psychologie derrière l’inaction climatique, Carbone (Radio-Canada), 21 mars 2024 ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8911321/psychologie-derriere-inaction-climatique

  1. Dragons of inaction : Diagnosing and Slaying the Barriers to Positive Climate and Environmental Action dragonsofinaction.com

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