Jamais entendu parler de l’Ordre de Jacques-Cartier ? Pas étonnant, cette société secrète reste un chapitre peu connu de l’histoire canadienne récente.

 

Fondée à Vanier (Ontario) le 26 octobre 1926 par Albert Ménard, ingénieur civil au ministère des Travaux publics et le curé François-Xavier Barrette, cette société secrète était aussi appelée « La Patente ». Sa devise était « Pour Dieu et pour la Patrie », les mots d’ordre « Religion, Discrétion, Fraternité » et son chant patriotique s’intitulait Honneur et Loyauté. L’Ordre était dirigé par un conseil supérieur nommé la « Chancellerie » et comprenait des cellules régionales, les « Commanderies ». L’organisation disposait de son propre journal L’Émerillon et du Bulletin à moindre diffusion.

 

Infiltrer pour influencer

Le but de cette organisation était de faire avancer les intérêts des minorités francophones du Canada par l’entremise d’une élite militante qui devait infiltrer l’administration publique, l’entreprise privée et le milieu pédagogique. De par sa nature, il n’était pas étonnant d’y retrouver politiciens, hommes d’affaires et ecclésiastiques francophones. Étaient également recrutés pour leur potentiel d’influence : fonctionnaires, gérants de caisse pop, propriétaires de magasin et membres d’organisations pro-francophones. Fait à souligner, la charte avait été calquée sur les rituels franc-maçonniques. L’Ordre était, de ce fait, entièrement composé d’hommes et ses recrues devaient être invitées par un membre et subir un rite d’initiation tenu secret.

 

Un puissant lobby

Rapidement, des centaines de commanderies ont été créées en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans l’Ouest canadien. Selon certains journalistes et auteurs, les derniers membres encore vivants seraient réticents à raconter leur engagement dans La Patente. Pourtant… si l’on en croit les spécialistes, des choses que l’on tient pour acquises aujourd’hui résultent des batailles de l’Ordre. Tout au long des années 1930, son influence s’est fait sentir à travers de nombreuses campagnes qui réclamaient le bilinguisme sur la monnaie canadienne, les formulaires d’assurance-chômage, les timbres-poste et les chèques d’allocation familiale et de vieillesse. Ils ont également obtenu des émissions de radio en français diffusées à Radio-Canada d’Halifax aux Rocheuses, des services en français dans les compagnies d’utilité publique (chez Bell Canada en autres), ainsi que de nombreuses nominations d’ecclésiastiques francophones dans des écoles et des paroisses à travers le pays.

 

Après la Deuxième Guerre mondiale, les membres ont travaillé en sous-main pour obtenir la francisation de la toponymie du Québec (Three Rivers est devenue Trois-Rivières), et ont joué un rôle important dans la création d’un drapeau pour le Canada (sans l’Union Jack britannique) et ils auraient participé de près ou de loin à la consécration de celui du Québec. Il s’en est fallu de peu pour que le pont Jacques-Cartier soit nommé Harbor Bridge. Moins factuel, certains membres auraient manigancé pour qu’Expo 67 se tienne à Montréal plutôt qu’à Toronto.

 

Le début de la fin

Au début des années 1960, la Révolution tranquille soulève un vent de renouveau au Québec et le besoin d’une société secrète se fait de moins en moins sentir. Jugeant sa mission accomplie, l’Ordre de Jacques-Cartier se dissout à Ottawa le 27 février 1965.

 

Tout au long de ses 40 années d’existence, l’Ordre de Jacques-Cartier « a vraiment sensibilisé le Québec à son anglicisation tranquille et stimulé le reste du Canada français à poursuivre ses combats pour la langue », écrit l’historienne Denise Robillard, auteure du livre L’Ordre de Jacques-Cartier, paru aux éditions Fides. « Exagéré ou non, l’héritage de l’Ordre de Jacques-Cartier reste pourtant capital, fût-il intangible. Ses succès ont convaincu l’ensemble du Canada francophone de la légitimité de ses luttes. Il n’y a aucun doute que La Patente a joué un rôle d’éveilleur », conclut toutefois Denise Robillard.