À travers mes enfants, je redécouvre les facettes de l’amitié. Témoin de leurs jeux, de leurs conversations, de leurs émotions, je me revois à leur âge. Un après-midi chez l’un, un samedi chez l’autre. L’innocence de tant d’heures douces et agréables. Des collations préparées par une maman qui nous surveillait de loin, incognito. On avait l’impression d’être seuls dans le sous-sol ou dans la cour, mais les adultes veillaient. La sécurité, les rires, l’ennui, l’excitation.
Des amitiés encore présentes
Au secondaire, je me fis plus distante, moins populaire. L’amitié me fuyait. C’est au cégep que j’ai trouvé le grand amour ainsi que le début d’amitiés sincères, tant au travail qu’à l’école. Et ces amitiés sont pour la plupart encore présentes, trente ans plus tard. La vie nous a séparés en kilomètres, mais pas en émotion. Il peut se passer un an, parfois plus, avant de se revoir. Lorsque les retrouvailles se font enfin, c’est comme si on s’était vu la semaine d’avant. Car des souvenirs nous lient, un pan de notre vie entremêle nos expériences et nos sentiments.
L’amitié se teinte d’une multitude de nuances; il y a celles partagées à nos premiers emplois, alors que nous apprenions les rudiments d’un métier, tous novices, tous de jeunes adultes qui se cherchent et se découvrent. Ensuite, il y a les amitiés d’école : études stressantes, premières sorties sans parents, soirées parfois trop arrosées un samedi soir de fin de session.
On se rappelle « dans l’temps »
Lorsque chacun se trouve un métier et fonde sa famille, une distance s’installe. Puis au gré des fêtes, on se redonne rendez-vous. « Parce qu’il est temps qu’on se voit! » On se retrouve autour d’un repas, un verre à la main. Et on jase, on jase, on jase… On radote. On se rappelle « dans l’temps ». J’aime l’idée que mes enfants nous voient agir et qu’ils comprennent ce que ces amitiés signifient pour nous. J’aime l’idée qu’ils saisissent l’importance et la valeur de toutes ces présences pour papa et maman, que l’amitié n’est pas qu’une affaire de « jeunes ». Si nous, nous sommes témoins de leurs amitiés naissantes, ils assistent de leur côté à des réunions animées qui doivent leur donner un avant-goût de ce que sont des amitiés durables et sincères. Des amitiés lumières. Des amitiés qui donnent l’heure juste, qui aident à grandir.
Un jour, j’entendis mon fils de neuf ans dire à son ami, alors qu’ils jouaient chez nous : « Ben là, si y’a rien qui te tente, t’as juste à t’en retourner chez vous! » Sur le coup, j’ai trouvé ça dur et désinvolte; je comprenais qu’ils ne s’entendaient pas sur le jeu ou qu’ils avaient fait le tour de leurs intérêts… mais quand même! Et puis j’ai réalisé qu’il y avait certaines vérités que seul un ami pouvait se permettre de dire. Que certaines confidences, que certaines intonations ou certains sous-entendus n’étaient acceptés que par de véritables amis. Ceux qui ne s’offusquent pas outre mesure et qui acceptent. Ou ceux qui sont en désaccord tout en étant capables de s’expliquer avec respect.
En cinquante ans, mes amitiés se sont distinguées par des reflets, des éblouissements et des ombrages. Des amitiés de cour d’école, de sorties dans les bars. Des amitiés de souper au resto. Des amitiés toujours présentes quand on a besoin de monter une piscine ou de construire un cabanon. Des amitiés qui servent à remonter le moral.
Sans chercher à plaire ou à impressionner
Mon frère et ma belle-sœur sont pour moi des amis d’une lumière éternelle, par tout ce qu’on a partagé depuis l’adolescence. On se connaît presque par cœur et on s’aime profondément. C’est une amitié dans laquelle je me sens bien, car je peux être moi-même, sans chercher à plaire ou à impressionner. Une amitié que je souhaite à mes enfants. Car il arrive des périodes où l’amour du conjoint ou celui des parents n’est pas ce dont on a besoin. Alors il est bon de trouver un phare qui nous rappelle, de loin, qu’une présence est disponible pour nous.
Je retrouve aussi quotidiennement ces conversations complices dans mon café, chez ces clients qui se rassemblent pour jaser, rire, se confier. Je surprends parfois des larmes ou des reproches. Une brusquerie non voulue. Tant de choses à se dire… Mais dans tous les cas, il se répand une lueur douce qui confirme l’importance de partager ces moments d’amitié. Il y a ceux qui se font un bowling, il y a ceux qui s’attablent pour une partie de cartes. Puis il y a ceux qui viennent prendre un café, tout simplement.